Il faut dans un premier temps faire un rappel sur le démembrement de propriété avant d’évoquer le quasi-usufruit.
Dans le cadre d’un démembrement de propriété, les droits relatifs à la pleine propriété se retrouvent scindés en deux de manière temporaire.

En effet, cette pleine propriété est répartie entre l’usufruit permettant de disposer des fruits et de se servir de la chose et la nue-propriété accordant le droit de disposer de la chose (le bien peut donc être aliéné par le nu-propriétaire par exemple).
La pleine propriété se reconstitue de fait entre les mains du nu-propriétaire au décès de l’usufruitier.
L’usufruitier a donc un devoir de conservation du bien afin qu’il puisse être restitué en l’état au nu-propriétaire à son décès.
Cependant, il existe en gestion de patrimoine, une situation de fait légèrement différente : le quasi-usufruit. Il peut être défini comme un usufruit qui porte sur un bien consomptible (bien consommé par premier usage ou par un usage répété).
En effet, le mécanisme du quasi-usufruit permet au quasi-usufruitier de consommer le bien comme il le souhaite. Il bénéficie de la faculté d’utiliser le bien mais également d’en disposer à la place du nu-propriétaire.
Au terme du quasi-usufruit, à charge pour le quasi-usufruitier de restituer soit des choses de même qualité et en même quantité, soit une somme d’argent équivalente à ce qu’il avait perçu : on la nomme, la créance de restitution.
Cette créance de restitution viendra s’exercer en déduction de l’actif successoral du quasi-usufruitier.

Toutefois, la loi de finances pour 2024 a prévu que la dette de restitution portant sur une somme d'argent dont le défunt s'était réservé l'usufruit, n'est plus déductible de l'actif successoral. Le législateur percevait la donation d'une nue-propriété de somme d'argent, comme une libéralité fictive, au but exclusivement fiscal. Toutefois, lorsque la dette a pour origine le quasi-usufruit issu d'une succession, d'une cession voire liquidation d'un bien démembré, celle-ci reste déductible.
Nous nous attarderons dans un premier temps sur la situation du quasi-usufruit légal au profit du conjoint survivant lors de l’ouverture de succession. Dans un second temps, nous analyserons le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie.

L’ouverture de succession : mise en place légale d’un quasi-usufruit au profit du conjoint survivant


Le conjoint survivant peut faire valoir légalement un quasi-usufruit lorsqu’il opte pour l’usufruit de tous les biens figurant à l’actif successoral du défunt.
Dans ce cas, le quasi-usufruit prendra effet automatiquement sur les liquidités, les comptes de dépôt et les livrets présents à l’actif de la succession.
Par ailleurs, même si le quasi-usufruit est de source légale, il est dans les faits assez rare que les notaires prennent en compte la créance de restitution ouverte au profit des enfants (souvent du fait d’un défaut d’acte au premier décès constatant la situation).
Afin d’éviter toutes sources de conflits avec le nu propriétaire au décès du quasi usufruitier, il est fortement recommandé aux deux parties de rédiger une convention de quasi-usufruit qui aura pour objet d’organiser ou d’aménager, le cas échéant, cette situation juridique préexistante. En effet, cette convention n’a pas pour but de mettre en place le quasi-usufruit qui s’ouvre, comme évoqué précédemment, de manière automatique sur les liquidités du défunt.
Un certain formalisme est à respecter quant à la rédaction et à l’enregistrement de cette dernière.
Cette convention peut être réalisée par acte authentique, qui a pour effet de donner date certaine, force probante et force exécutoire à l’acte.
Elle peut également être rédigée par acte sous seing privé. Afin d’apporter davantage de sécurité juridique, il convient de faire une demande expresse d’enregistrement de la convention de quasi-usufruit au Fichier Central des Dispositions de Dernières Volontés.
Les dispositions qui peuvent notamment être prévues par une convention de quasi-usufruit sont :
• La mise en place de garantie afin de se prémunir contre l’impossibilité de paiement de la créance de restitution par le quasi-usufruitier. Il existe trois types de garanties : l’obligation d’inventaire, de cautionnement et d’emploi. Cependant, ces garanties n’étant pas d’ordre public, les deux parties peuvent par y déroger en aménageant la convention comme elles le souhaitent.
• Le devoir d’information incombant au quasi-usufruitier à l’égard du nu propriétaire quant aux différentes opérations qu’il réalise.
Par ailleurs la présence d’une telle convention rend l’application d’une créance de restitution au profit des nus-propriétaires lors du décès du quasi-usufruitier systématique. Ce qui permet d’éviter une double imposition des biens soumis au quasi-usufruit.
En effet, cette convention met en évidence la valeur du quasi-usufruit au premier décès mais également le fait que les nus-propriétaires/créanciers ont déjà payé les droits de successions sur la valeur de la nue-propriété. Au second décès, aucune fiscalité supplémentaire ne pourra être appliquée sur la somme sur laquelle porte le quasi-usufruit puisqu’elle sera déductible de l’actif successoral du défunt.
Pour rappel, la reconstitution de la pleine propriété entre les mains des nus-propriétaires au décès d’un usufruitier est sans incidence fiscale.

Le cas du démembrement de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance vie : un outil puissant de protection du conjoint survivant mais également de transmission patrimoniale


Ce mécanisme permet de désigner plusieurs bénéficiaires au contrat d’assurance vie : d’une part l’usufruitier, qui est fréquemment, le conjoint survivant et d’autre part, les nus-propriétaires, qui sont souvent les enfants.
L’usufruitier pourra disposer librement des capitaux décès pour subvenir à ses besoins, sans léser les enfants.
En effet, comme dans un quasi-usufruit légal, les nus-propriétaires bénéficieront d’une créance de restitution qu’ils pourront faire valoir lors de l’ouverture de succession du quasi-usufruitier afin de récupérer un capital équivalent à la valeur du quasi-usufruit.
Un autre avantage qu’offre le démembrement de la clause bénéficiaire est d’aspect fiscal.
En effet, la fiscalité applicable aux capitaux décès transmis en démembrement est calculée selon le barème fiscal de l’article 669 du CGI prenant en compte l’âge de l’usufruitier. Or le conjoint survivant est exonéré de droits de succession depuis l’entrée en vigueur de la loi TEPA en 2007, mais également de la taxation sur des capitaux décès, il récupèrera donc la totalité de l’usufruit sans s’acquitter de droits. Seule la quote-part revenant aux nus-propriétaires sera donc fiscalisée le cas échéant.
Dans ce cadre, on distingue les primes versées avant et après 70 ans de l’assuré régis respectivement par les articles 990 I et 757 B du CGI.
Pour les primes versées avant 70 ans : un abattement de 152 500 € est prévu pour chaque bénéficiaire sur les capitaux décès transmis. Dans le cadre d’un démembrement de clause bénéficiaire d’assurance vie, cet abattement est scindé selon la valeur de la nue-propriété et autant de fois qu’il y a de « couple » usufruitier/nu-propriétaire.
Au-delà du montant de cette exonération, le capital et les intérêts seront taxés à hauteur de 20% pour les 700 000 € suivants. Au-delà, la fiscalité applicable est de 31,25%. Bien entendu seuls seront taxés les bénéficiaires taxables, donc hors conjoint marié ou Pacsé.
Pour les primes versées après 70 ans, le cadre fiscal est moins avantageux.
En effet, un abattement unique pour l’ensemble des bénéficiaires de 30 500 € est prévu sur le capital. Cet abattement se répartit entre les bénéficiaires taxés, aucun prorata n’est réalisé avec le conjoint survivant (usufruitier du contrat d’assurance vie).
Au-delà de ce montant, les capitaux décès transmis seront soumis au barème des droits de succession.
Il pourra être prévu conventionnellement que si une taxation quelconque serait due au titre des capitaux décès, elle serait prélevée sur les capitaux versés par l’assureur à l’usufruitier et que par conséquent la créance de restitution en serait diminuée d’autant.

Une question a été soulevée : est-ce que le remploi des capitaux faisant l’objet d’un quasi-usufruit dans un contrat d’assurance en y désignant les titulaires de la créance de restitution comme nus-propriétaires peut présenter un risque d’abus de droit fiscal ?


Cette solution peut être judicieuse lorsque l’actif successoral du quasi-usufruitier est insuffisant pour faire face à la créance de restitution due aux nus-propriétaires.
Dans ce cas, les nus-propriétaires seraient les bénéficiaires à titre onéreux de ce contrat d’assurance vie (aucun enrichissement n’a lieu, il s’agit uniquement du remboursement de la créance dont ils sont titulaires) à concurrence de leur créance.
Les nus-propriétaires ne seront donc pas taxés. Seul le surplus reçu alors à titre gratuit fera l’objet d’une imposition selon les dispositions prévues aux articles 990 I et 757 B du CGI.
La requalification de l’opération en abus de droit peut se présenter lorsque les nus-propriétaires sont non pas, comme dans le cas précédent, bénéficiaires à titre onéreux du nouveau contrat d’assurance mais bénéficiaires à titre gratuit.
De surcroit, si l’opération est sans utilité apparente pour le quasi-usufruitier, le risque d’abus de droit est d’autant plus tangible.
En effet, les nus-propriétaires se seront enrichis d’une part en recevant, à titre gratuit, les capitaux décès du nouveau contrat d’assurance vie souscrit par le quasi-usufruitier aux moyens des capitaux soumis à quasi-usufruit. D’autre part, ils récupèreront la créance de restitution qui viendra s’imputer sur l’actif successoral du quasi-usufruitier.