Le présent article reprend la recherche réalisée par les équipes de Tikehau Capital, intitulée Just about People et publiée en juin dernier. Nous les remercions à cette occasion pour leurs travaux pertinents.

Son auteur Thomas Friedberger, directeur général, s’interroge sur les impacts de la démographie sur les grandes tendances économiques et sur les organisations dans lesquelles nous investissons. Rentrons dans le vif du sujet. Les investissements que nous réalisons sont souvent liés à un horizon court terme, qu’il est évidemment essentiel de prendre en compte. Cependant, certains ignorent une science qui s’est avérée fiable dans ses prévisions : la démographie. Notre écrit s’articule donc autour de deux grandes réflexions que sont les impacts de la démographie d’un point de vue macroéconomique, d’une part, et microéconomique, d’autre part.

La situation actuelle

La Terre compte 7.7 milliards d’habitants en 2021. La population mondiale a atteint le milliard d’habitants en 50 000 ans ; il ne lui faudra que 300 ans pour passer de 1 à 11 milliards d’habitants. Malgré cela, cette croissance ralentit, principalement avec la diminution du nombre d’enfants par femme (5 en 1948 à 2.5 en 2019).  La surpopulation n’est donc pas d’actualité, sous réserve que le réchauffement climatique soit maitrisé. Selon la Banque Mondiale, depuis environ une décennie, la population en âge de travailler définie par la classe d’âge 15-64 ans est en contraction du fait principalement du vieillissement de la population chinoise.

La classe d’âge la plus nombreuse sur Terre est celle de la génération Z, ou Zillenials. Ce sont les personnes nées entre 1996 et 2016. Selon une étude de Bank of America, leur pouvoir d’achat devrait augmenter de 140% sur les cinq années à venir. Par ailleurs, cette tranche d’âge n’est pas répartie de façon homogène sur le globe. En 2021, 89% vivent dans les pays émergents.

Deux générations au-dessus, nous avons les baby-boomers. Cette cohorte représente actuellement 730 millions de personnes et est en expansion. Jamais dans l’histoire de l’humanité un tel nombre de personnes n’avait atteint les âges de 65 ans et plus. Selon United Nations, en 2018, le monde comptera plus de personnes de plus de 65 ans que de moins de 5 ans. Ce phénomène s’explique par l’accroissement de la longévité mais aussi la baisse de la fécondité. En 2050, la Chine comptera plus de 400 millions d’habitants de plus de 60 ans, soit plus que toute la population des États-Unis. Dans le même temps, la population en âge de travailler devrait réduire.

L’impact sur les taux d’intérêt

De ce fait, nous pouvons nous interroger sur les conséquences d’un tel phénomène sur les taux d’intérêt. Charles Gave, essayiste, financier et entrepreneur français, décrit les tendances d’épargne et de consommation par segment d’âge. Selon lui, un pic de population en âge de travailler conduit à un surplus d’épargne et un creux d’investissement, donc à des périodes de taux d’intérêt relativement bas. En effet, les enfants ne consomment et ne produisent pas, mais leur croissance et leur éducation nécessitent de nombreux investissements. Les retraités consomment grâce à l’épargne accumulée et constituent, eux aussi, un besoin d’investissement important dans les secteurs de la santé notamment. A l’inverse, la population en âge de travailler produit mais épargne massivement pour préparer sa retraite. Par ailleurs, le pic de 2012 de la population en âge de travailler, correspondant à l’arrivée des jeunes chinois issus du pic de natalité de 1990, avait entraîné des forces déflationnistes considérables dans l’économie mondiale. Cette tendance déflationniste s’inverse néanmoins puisque que cette classe d’âge a entamé un lent déclin. En effet, il s’emblerait que nous soyons aux prémices d’une remontée des taux d’intérêt longs.

Les conséquences sur la consommation

Toujours d’un point de vue macroéconomique, quel est l’impact de la démographie sur la consommation ? Premier élément de réponse : le pouvoir d’achat est détenu en partie par les baby-boomers. Pour preuve, en 2020, 30% des dépenses mondiales de consommation sont réalisées par les plus de 60 ans. En effet, cette cohorte a pu jouir de conditions favorables à l’accroissement de leur richesse telles que l’augmentation des prix des actifs et la baisse des taux d’intérêt.

Quant aux générations suivantes, les Millenials, nés entre 1980 et 1995, ont bouleversé les habitudes de consommation et les Zillenials, sont sur le point de les révolutionner. En effet, selon The Longevity Economy, la  génération Z dispose déjà de revenus d’environ 7 000 milliards de dollars. De plus, cette génération est particulièrement influente sur les réseaux sociaux et devrait connaître la plus forte augmentation de revenus jamais connue. Ce n’est donc pas étonnant que le marché soit particulièrement à l’écoute des aspirations et des besoins de cette génération, obligeant les marques à adapter leur message et le format de leur communication.

Les dépenses de consommation de la Chine devraient dépasser celles des États-Unis en 2024. Plus encore, dans les 20 prochaines années, 70% de l’épargne additionnelle dans le monde viendra de Chine.

Quelles sont les aspirations des différentes générations ?

A ce sujet, les Zillenials représentent la génération la plus homogène que le monde n’ait jamais connue, conséquence directe de la mondialisation de l’information et des réseaux sociaux. Selon la Banque Mondiale, la génération Z est aussi la plus éduquée avec un taux d’alphabétisation avoisinant les 91 %. Son facteur de préoccupation principal est la situation économique, et ce pour deux raisons. La première étant le fait que ce soit une génération qui ait été témoin de l’appauvrissement de ses parents issus de la génération X et qui subissent désormais les effets de la crise du COVID 19. Plus encore, les Zillenials se préoccupent davantage des questions environnementales et de croissance durable que leurs ainés.

Côté entreprise, malgré les idées que nous pouvons avoir, cette génération préfère l’interaction physique au travail à distance.

La démographie a également des impacts au niveau microéconomique, celui de l’entreprise. Et pour cause, nos entreprises vont devoir faire face à deux effets financiers dans les années à venir : la pression haussière sur les salaires, conséquence de la diminution mondiale de la population en âge de travailler ; ainsi qu’une pression fiscale, due à la hausse du ratio d’inactifs par rapport aux actifs.

Mais les répercussions ne seront pas seulement financières, elles seront aussi structurelles et culturelles. Effectivement, les manières d’appréhender le travail et les carrières ont largement évolué de génération en génération. Les baby-boomers ont, eux, effectué toute leur carrière dans une seule et même entreprise. Ceci s’explique par les codes de loyauté, d’obéissance et de discipline qui leur ont été transmis dans leur éducation « d’après-guerre ».

La génération X, quant à elle, réalise toute sa carrière au sein d’un même secteur mais change régulièrement d’entreprise. C’est une génération qui se caractérise par son pragmatisme, qui conçoit le travail comme un contrat moral sur un système de donnant-donnant.

Enfin, les Millenials auront plusieurs vies professionnelles et auront la capacité à changer de secteur. Leur conception du travail est, ici encore, complètement différente de celle de leurs ainés.

La représentativité pourrait être un autre vecteur de tensions entre générations. En effet, le manque de représentativité est facteur d’instabilité sociale. Par exemple, en 2020 aux États-Unis, les sénateurs et membres du Congrès ont en moyenne deux générations de plus que le citoyen américain médian.

Les changements sociaux à considérer sont également ceux liés à l’ère d’internet. Avec cet outil est né un nouveau mode de transmission du savoir. Auparavant, la transmission s’effectuait uniquement par le maître, ou le supérieur hiérarchique. Les nouvelles générations croient désormais qu’elles peuvent, à tort ou à raison, s’instruire seules. Elles souhaitent être reconnues financièrement pour leur apport immédiat dans l’entreprise plutôt que d’accepter une faible rémunération justifiée par une formation. Il en résulte alors une défiance de la hiérarchie et de « l’ancien régime » qui, selon elles, n’a pas su récompenser ses salariés pour le travail fourni.

Enfin, au-delà des bouleversements dus aux facteurs technologiques et aux répercussions financières, structurelles et culturelles, les entreprises subissent également des pressions sociales, notamment en matière de diversité, d’inclusion ou encore de parité. En ce sens, l’idée même de l’objectif principal d’une entreprise de maximiser les revenus est remise en question. Les valeurs des entreprises traditionnelles ne sont donc plus partagées par les nouvelles générations. A ce titre, l’exemple Français est extrême. En effet, selon Les Echos, l’âge moyen des entreprises du CAC40 est de plus de 100 ans.

Pour conclure, il s’agissait ici de s’interroger sur les impacts de la démographie d’un point de vue macroéconomique et microéconomique. Nous pensons que la fiabilité de cette science doit nous amener à redonner de l’importance au long terme. Ce dernier étant complémentaire aux données à court terme qui nous permettent, quant à elles, d’appréhender des caractéristiques d’investissement telles que la volatilité. Ce sont donc bien ces deux faisceaux qui nous permettent de construire vos allocations ; tout en prenant en compte différents paramètres tels que l’appétence au risque, l’expérience financière ou encore des convictions personnelles.